Dimanche 2 mai 2021 : 5ème dimanche de Pâques. Homélie du Père Jérôme Thuault, curé.
Frères et sœurs, nous avons célébré Pâques il y a cinq semaines et nous prolongeons, jusqu’à la Pentecôte, notre contemplation de la « vie nouvelle » offerte par le Seigneur. Oui, vraiment, il veut nous renouveler en profondeur, nous aider à retrouver le cœur nouveau et l’esprit nouveau que nous avons reçu – il y a parfois bien longtemps – pour vivre la « belle aventure » des enfants de Dieu. Pâques ne peut pas nous laisser inchangés, mais nous renouveler ! Si nous restons ancrés dans notre vie présente, avec peut-être une part de résignation, de paresse, ou de peur, alors nous renonçons à la grâce extraordinaire de Pâques, et avec nous, le monde rate une occasion précieuse d’avancer vers le salut.
Mais il y a une condition fondamentale pour accueillir la grâce de Pâques : la confiance. N’ayez pas peur, voilà le message martelé par Jésus ressuscité à tous ceux à qui il est apparu. Heureux ceux qui croient sans avoir vu, dit-il encore à saint Thomas. Sans confiance, la vie est impossible, nous le savons bien. Or sans confiance en Dieu, notre vie stagne, notre horizon se restreint… la grâce ne déploie pas toute sa puissance en nous.
Précisément, le passage des Actes des Apôtres, qui nous est proposé ce dimanche, expose un problème sérieux né d’un manque de confiance. Faut-il accueillir Saul (le futur Paul) au sein de la communauté chrétienne ? Ou encore : peut-on vraiment considérer comme un frère celui qui s’est longtemps comporté comme un ennemi ? Il me semble que cette situation n’a rien perdu de son actualité : notre confiance en l’autre est fragile, et d’une certaine façon, la dernière encyclique du pape François, Tous frères, semble faire écho à ce grand défi de la vie chrétienne.
Mais revenons sur les faits. Saul, juif habité par un zèle aigu pour la Loi, a vécu une conversion foudroyante. Sur le chemin de Damas, il a entendu la voix du Christ, l’invitant à changer d’attitude. Il persécutait les chrétiens – et à travers eux, c’est le Seigneur lui-même qu’il blessait – et voilà qu’il doit se faire disciple du Christ ! Si Saul a été littéralement ébloui par cette révélation divine, la situation fut plus difficile à accepter pour les chrétiens qui avaient croisé son chemin.
Le Seigneur fit d’abord appel à Ananie – qui était fort réticent – afin d’accompagner Saul au bout de sa conversion. Ananie est celui qui imposa les mains sur Saul, afin que ses yeux voient et qu’il reçoive l’Esprit saint. C’est par Ananie que Saul devint chrétien, mais un chrétien « seul ». Or il fallait bien que Saul soit aussi membre de l’Eglise. Et c’est bien là la difficulté.
Tous avaient peur de lui, lit-on dans les Actes. Car Saul était connu pour être un ennemi. Il avait assisté au martyre d’Etienne, approuvant les faits. Il s’était toujours opposé violemment aux disciples de Jésus. Comment pouvait-il désormais prétendre être apôtre de ce même Jésus ? On connaît la force d’une « étiquette » collée sur une personne, l’empreinte laissée par une parole prononcée, par un acte ou par un silence. Lorsqu’on se retrouve enfermé dans une « catégorie », réduit à une fonction, une opinion, il est bien difficile de se faire accepter tel qu’on est en vérité. En l’occurrence, la catégorie d’ennemi est certainement la plus difficile à briser. Car quiconque considère une personne comme ennemie s’est lui-même enfermé dans une forteresse dont il a du mal à sortir ! La situation semblait bloquée pour les Apôtres : ils n’étaient pas prêts à accueillir Saul au sein de leur communauté.
Barnabé a fait de son mieux pour établir un pont entre son ami et les apôtres. Il avait été témoin de la conversion de Saul – càd que l’Esprit Saint lui a permis de voir en profondeur ce qui s’était passé chez son ami – et par conséquent il était la bonne personne pour faire le lien. Mais son intervention n’a pas suffit.
Notez que pour sa part, Saul allait et venait dans Jérusalem, parlait avec assurance au nom du Seigneur. Par le baptême, il était devenu un homme libre ! Rien ne le retenait, pas même le regard méfiant des apôtres. Saul était rempli d’Esprit saint ; les apôtres eux aussi avaient été brûlés du feu de la Pentecôte, mais la méfiance et la peur étaient réapparues dans leur cœur.
Cette difficulté des disciples à s’élargir leur cercle, en accueillant un nouveau membre choisi par Dieu, me semble encore très actuelle. La peur nous hante ; ce monde nous déstabilise, au point que nous avons tendance à voir beaucoup d’ennemis ou de personnes menaçantes autour de nous. Le Seigneur nous demande – en ce temps de Pâques – de mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ et nous aimer les uns les autres (cf 1 Jn 3,23). L’apôtre Jean ajoute : celui qui garde ces commandements demeure en Dieu et Dieu en lui.
Le pape François, dans l’encyclique Fratelli tutti nous exhorte : si nous ne croyons pas à la fraternité humaine, alors notre foi est vaine et notre monde courre à sa perte. Voyons le rejet qu’a subi l’apôtre Paul en son temps !
Croire en la fraternité humaine, c’est croire en une Église forte mais « forteresse dont l’accès n’est réservé qu’à quelques élus ». Une Eglise forte de sa foi, qui maitrise l’art de la rencontre, relève le défi de la réconciliation, a le goût du dialogue avec les autres religions… Cette vision est tout sauf naïve, c’est la vision que les apôtres ont acquise peu à peu après la Pentecôte.
Frères et sœurs, que l’Esprit saint nous libère de nos peurs et ravive en nous la confiance en Dieu. Qu’il nous apprenne l’art de la rencontre et nous guide aux périphéries, là où tant de personnes attendent une parole de salut.